Recension par Dr. Sébastien Goulard

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Début 2021, le professeur Richard T. Griffiths (International Institute for Asian Studies, Leiden) et le professeur Alice C. Hughes (Xishuangbanna Tropical Botanical Garden, Chinese Academy of Sciences, Yunnan) ont édité In the Way of the Road, the Ecological Consequences of Infrastructure. Le professeur Griffiths (directeur du projet de recherche Nouvelles routes de la soie à l’Institut international d’études asiatiques) a déjà supervisé la publication de plusieurs livres sur l’initiative « Belt and Road » (BRI), dont Revitalizing the Silk Road (en 2017), et il a montré son expertise dans les projets de connectivité à travers le monde.

Le dernier livre du professeur Griffiths examine l’impact de la BRI sur l’environnement et les solutions possibles pour rendre ce programme plus vert. Un point important soulevé par les auteurs est qu’il n’y a pas de panacée qui résoudrait tous les problèmes environnementaux. Même les énergies éolienne et solaire ont des conséquences négatives sur l’environnement. Bien que la préservation de l’environnement et l’atténuation du changement climatique aient été identifiées par la Chine comme des cibles clés pour le déploiement de la nouvelle route de la soie, les auteurs notent que la construction des corridors économiques de la BRI (accompagnés de projets d’investissement massifs) met en danger les écosystèmes vierges et les communautés locales. De nombreux experts soulignent que de tels projets pourraient être considérablement améliorés avec une meilleure gouvernance.

Cependant, les auteurs reconnaissent que davantage d’infrastructures sont nécessaires (principalement dans les pays en développement) afin de résoudre les problèmes sociaux et économiques de façon pertinente et de donner aux populations locales de meilleures opportunités. Ils soulignent également le fait (comme mentionné ci-dessus) que ces initiatives ne sont pas sans conséquences, et si nous ne pouvons pas toujours éviter de tels impacts négatifs, nous devons nous efforcer de les réduire.

Résumé

Après une brève introduction donnant un aperçu des chapitres successifs, le professeur Griffiths et le professeur Hughes examinent les besoins en infrastructures de transport et d’énergie, et étudient comment les nouvelles installations auront un impact sur les écosystèmes très diversifiés dans les régions le long de la nouvelle route de la soie. De nouveaux chemins de fer, ports et pipelines dans des régions qui, historiquement, ont vu très peu de présence humaine peuvent mettre en danger la biodiversité locale. Les auteurs soutiennent que la crise actuelle de la  COVID-19 entraînera une détérioration supplémentaire de l’environnement, car de nombreux pays ont choisi de déréglementer afin d’accélérer la reprise.

Les auteurs ne plaident pas pour une préservation complète de l’environnement dans les régions traversées par la BRI, ce qui serait impossible à réaliser, mais ils insistent sur l’importance de minimiser les externalités. Selon les auteurs, la première tâche devrait être d’étudier la biodiversité dans les régions clefs et de recueillir des données pertinentes afin de protéger plus efficacement ces zones.

Le deuxième chapitre, écrit par le Dr. Elena Tracy (Université Ludwig-Maximilian de Munich), est peut-être le plus central de ce livre car il présente les six couloirs de la BRI ; et pour chacun d’entre eux, le Dr Tracy examine les installations qui ont été construites et leur impact sur l’environnement, en mettant fortement l’accent sur l’Asie du Sud-Est, où à la fois le Corridor Economique Chine-Indochine (CECI) et le Corridor Economique Chine-Myanmar (CECM) abritent une grande diversité d’espèces. Cette région est la plus à risque en raison de sa croissance démographique et des constructions susceptibles de fragmenter davantage les habitats naturels. Le Dr Tracy est préoccupée par le fait que toutes les solutions adoptées pour atténuer les externalités environnementales ne sont pas adéquates, comme le programme de reboisement du Pakistan, qui utilise des espèces d’arbres non indigènes. Le Dr Tracy note que bien que la Chine ait adopté des mesures pro-environnementales au niveau national, les directives émises par Beijing pour rendre les projets BRI plus écologiques à l’étranger ne sont qu’indicatives. Le Dr Tracy préconise l’introduction de mécanismes transfrontaliers qui établiraient des normes environnementales pour les projets le long de la nouvelle route de la soie.

Zach Fitzner (auteur et consultant) examine le développement de l’énergie éolienne et solaire en Eurasie. Ces énergies ont été privilégiées afin de réduire les émissions de charbon. Cependant, ils ne sont pas irréprochables. L’une de ses préoccupations est que ces énergies renouvelables nécessitent l’extraction de nombreux métaux et minéraux, dont il a été démontré qu’ils ont des effets polluants importants sur l’environnement. Les éoliennes et les panneaux solaires ont également un impact important sur la faune. Fitzner donne l’exemple des parcs éoliens offshore, qui peuvent perturber la migration des mammifères marins à cause du bruit associé à cette technologie.

Néanmoins, pour l’auteur, les énergies éolienne et surtout solaire peuvent être une solution si elles sont adoptées dans des zones déjà aménagées, réduisant ainsi la probabilité d’un impact supplémentaire sur la faune. Des investissements plus importants doivent également viser à augmenter la durée de vie opérationnelle de ces technologies. Fitzner conclut son chapitre en affirmant que la maitrise des énergies n’est qu’un des nombreux défis à relever alors que la population mondiale continue d’augmenter et d’adopter un mode de vie gourmand en ressources. Il soutient qu’un changement de nos modes de consommation, dans une optique d’efficacité et de frugalité, est la clé de la préservation de la biodiversité.

Dans le quatrième chapitre, le Dr Ana Teresa Marques et le Dr Joana Bernardino (Centro de Investigação em Biodiversidade e Recursos Genéticos, Université de Porto) étudient l’impact des parcs éoliens terrestres sur les oiseaux et les chauves-souris au Portugal. Ce pays a récemment développé un solide secteur de l’énergie éolienne, mais il a été prouvé que les éoliennes peuvent mettre en danger certaines espèces d’oiseaux et de chauves-souris à cause du bruit et d’autres effets. Pour les auteurs, il est important de reconnaître l’impact négatif des éoliennes afin d’en atténuer leurs effets. En outre, les zones qui fournissent des sites de nidification ou des voies de migration cruciaux doivent être évitées, et la vitesse des turbines doit également être réduite si nécessaire.

Les auteurs font valoir l’importance de mener des études  d’évaluation de l’impact environnemental avant la construction de nouveaux parcs éoliens et la collecte de données sur la mortalité des chauves-souris et des oiseaux, afin que les futurs projets puissent être plus respectueux de l’environnement.

Le cinquième chapitre, écrit par le professeur David Dudgeon (Université de Hong Kong), se penche sur une autre ressource énergétique, celle de l’hydroélectricité et la construction de barrages en Eurasie. L’auteur présente plusieurs externalités créées par de telles infrastructures hydrauliques, notamment l’obstruction à la libre circulation des organismes, mais aussi la réduction de l’apport de sédiments aux océans. La capacité hydroélectrique en Asie a récemment connu un boom dans la construction de barrages (souvent en utilisant l’expertise chinoise), qui menacent la biodiversité. Le professeur Dudgeon examine spécifiquement les barrages le long du Mékong, où les populations locales de poissons et de dauphins de rivière ont gravement diminué. Malheureusement, l’impact des barrages sur la biodiversité et aussi sur la pêche n’a pas été pris en considération lors des processus de planification. Les passages à poissons et les débits électroniques qui imitent la variabilité naturelle des régimes d’écoulement peuvent atténuer ces externalités dans une certaine mesure, mais ils ne suffisent pas à protéger les écosystèmes d’eau douce qui desservent des millions de personnes dans la région. Pour Dudgeon, les impacts causés par l’hydroélectricité sont irréversibles, c’est pourquoi il appelle les gouvernements à analyser plus en profondeur les conséquences de la construction de barrages.

Le professeur Griffiths étudie l’impact écologique des activités portuaires et les externalités des mesures prises pour les protéger des dommages causés par les inondations. Griffiths avance premièrement que les ports existants présentent de fortes externalités en termes d’environnement. Il souligne le fait que le commerce maritime est responsable du développement d’espèces invasives, transportées par les eaux de ballast des navires, d’un océan à l’autre (même si certaines restrictions sont désormais en place). De plus, avec le développement du commerce le long de la nouvelle route maritime de la soie, les ports devraient se développer, ce qui aura sans aucun doute un impact sur les zones humides voisines qui constituent un sanctuaire pour de nombreuses espèces.

L’auteur note également que le réchauffement climatique est susceptible de provoquer une élévation du niveau de la mer, et certains ports devront être protégés. Pour Griffiths, une approche d’ingénierie douce (telle que l’alimentation des plages en sable et la préservation des mangroves) fait partie de la solution.

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Dans le chapitre suivant, Alexandre Cornet (WWF, European Policy Office) se concentre sur la route polaire de la soie, un autre corridor de la BRI qui devient de plus en plus important stratégiquement en raison de la fonte de la banquise arctique. La route polaire de la soie raccourcirait le trajet entre l’Europe et l’Asie, bien que le manque de visibilité en hiver et les conditions météorologiques difficiles soient susceptibles d’être problématiques. Cependant, pour développer cette nouvelle route, de nouvelles infrastructures doivent être développées et la Chine renforce sa présence dans la région dans divers secteurs, notamment l’énergie et le tourisme.

Cornet note cependant que le développement de la route polaire de la soie constituera une menace pour l’environnement à divers égards. Premièrement, la biodiversité polaire est très fragile, et tout incident industriel (par exemple, une marée noire) aurait des conséquences dramatiques pour les espèces locales mais aussi pour les communautés locales qui dépendent des ressources de l’Arctique. Pour Cornet, la coopération devrait être renforcée entre les pays de l’Arctique et les autres nations ayant de forts intérêts dans la région, comme la Chine, et la construction d’infrastructures dans les zones préservées ne devrait pas être autorisée.

Dans le dernier chapitre, le professeur Enrique Martínez Galán (ISEG-École d’économie et de gestion de Lisbonne, Université de Lisbonne) examine le financement et la gouvernance des projets BRI en Asie, et il réitère la nécessité pour la Chine de s’efforcer de transformer la BRI en une initiative plus verte. Il affirme en outre que si la Chine a réussi à intégrer plus efficacement la préservation de l’environnement dans ses stratégies de développement nationales, ces préoccupations environnementales n’ont pas été intégrées par les institutions financières chinoises dans les projets BRI à l’étranger.

Quelques solutions

Dans ce livre, les auteurs brossent un tableau plutôt sombre de l’impact de la BRI (et de tout autre projet de développement) sur l’environnement. La construction rapide et massive d’infrastructures dans les régions à la biodiversité fragile fait peser de nombreuses menaces sur les ressources de la Terre. Les auteurs comprennent qu’il n’est pas possible de restreindre complètement le développement dans ces zones car de telles installations jouent un rôle important dans la prospérité des habitants ; ils préfèrent parler d’atténuation.

Malheureusement, il n’existe pas de remède miracle pour prévenir les problèmes environnementaux. Les auteurs montrent que les énergies dites renouvelables comme l’éolien, le solaire et l’hydroélectricité peuvent, dans certains cas, constituer une menace sur la biodiversité. Les auteurs préconisent une approche de limitation des dommages.

Une recommandation importante que tous les auteurs soutiennent est celle de continuer à mener des recherches sur les externalités environnementales. La collecte de données peut aider à réduire l’impact des futurs projets. Les auteurs appellent également à une meilleure gouvernance des projets de la BRI, et une plus grande intégration des communautés locales. La plupart des projets d’infrastructure ont des conséquences irréversibles, c’est pourquoi leur impact doit être mieux évalué. Après avoir adopté une approche plus verte du développement à l’intérieur de ses frontières, la Chine doit plaider pour davantage de mesures environnementales dans les projets de la BRI à l’étranger.

In the Way of the Road, the Ecological Consequences of Infrastructure, par Prof. Griffiths et Prof. Hughes
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